Qu’un poète jongle avec les syllabes de ses vers ou qu’un acrobate jongle avec les verres de ses semblables, il reçoit hommation et admirage dans la réussite, commisérence et bienveillation dans l’échec. Mais qu’une bonne âme ait le malheur de s’essayer à l’acrobatie poétique qu’est le calembour et elle s’attire immédiatement les foudres de Jupitler, Dieu - hélas omniprésent - de l'intolérance à la culture sémique. Sans pitié aucune, les poètes circassiens et les acrobates syntaxiques sont sacrifiés à son autel, accablés de maux avec lesquelles ils n’aspirent qu’à jouer, au nom du blasphème envers l’humour que représenterait la cabriole sémantique, comme si le langage n’était pas assez vaste pour contenir la plaisanterie, comme si logos et rigolos n’étaient pas fait du même golo. Le pauvre calembouriste s’aime à amuser mais il ne récolte que risée et quolibet, même en l’absence de plantage. Il met son adresse au service du rire collectif et on lui riposte un dédain qui n’enveloppe pas le facteur de l’être, pourtant bien timbré. C’est un artiste incompris à qui on ne cesse de rentrer dans le lard. C’est un missionnaire qui prêche la bonne formule, annonçant la nonne poubelle, aimant conter la bible et parler sur l’érection du christ, avec plus ou moins de bon goût certes, mais toujours pour le salut des larmes, n’en déplaise aux inquisiteurs de la bienpensance humoristique, toujours prêts à discréditer la valeur de ses efforts et la vertu de sa foi. Ces derniers se sentent légitimes à briser la jovialité du calembourgeois par l’habitude qu’ils ont pris de leur intolérance et de l’impunité avec laquelle ils opèrent. Mais il faut pardonner à ces tristes sires, qui ne savent pas ce qui fond. Ils ne savent pas qu’ils se pénalisent eux-mêmes par leur négativité et leur fermeture. Ils ne savent pas qu’ils oeuvrent à l'éradication d’une immense richesse culturelle, d’un état d’esprit dont ils sont les premiers bénéficiaires. Ils ne savent pas qu’ils font souffrir les inoffensifs amateurs de traits d’esprit, qui n’ont d’autre désir que d’inclure leur bonne humeur dans un alliage fortuit de polysémie. Ils ne savent pas que cette coutume néfaste, cette tradition castratrice, devenue comme un réflexe aveugle chez eux, n’est rien d’autre de l’antisémiquisme, le plus grand des pếchés de l’humanité qui ne donnasse point de fruits ; mais bon cela, encore eût-il fallusse qu’ils le sussent.
Le calembour est une vraie richesse, particulièrement pour la langue française exceptionnellement propice à son épanouissement, et bien qu’il ne fasse de tort à personne, il est injustement déprécié par l’imaginaire collectif. Même si l’adresse et le raffinement mis en oeuvre à son élaboration peuvent sembler excessifs pour cet objectif futil qu’est la plaisanterie, c’est une illusion car elle n’est pas moins vitale et digne d’effort que tout autre chose, même la plus sérieuse d’entre les sérieuses. Que ce soit par contrepèterie, jeu de mot, néologisme, antistrophe ou autre effet incatégorisable, le calembour provoque plus de rire que l’on veut bien lui reconnaître, il mérite plus d’estime qu’il n’en reçoit, et surtout il apporte davantage qu’il n’a de fenêtres. Chaque calembour sonne comme un miracle étymologique, comme une coïncidence extraordinaire, une rencontre inattendue entre les mots, nous rappelant leur condition d’outils arbitraires hérités mystérieusement de notre histoire mais dont nous n’aurons jamais fini d’épuiser la magie. Cela rappelle à chaque fois la futilité du sérieux et la profondeur de la frivolité, révélant et joignant tout ensemble leur complémentarité et leur antagonisme comme deux faces d’une même médaille mises prodigieusement bout à bout. Personne ne peut se targuer de créer un calembour, on ne peut qu’être reconnaissant d’avoir eu le privilège de l’observer et de s’émerveiller de cette révélation qui chatouille l’orgueil de l’orateur, renverse la gravité de la formule et fait voler en éclat toute sériosité mal placée. Car dès que l’on s’emporte dans son élocution ou que l’on se perd dans la solennité de son discours, le calembour nous rappelle au désordre en surgissant à l’improviste de sa propre bouche, sans pour autant en être salie. Personne n’est à l’abrie de comté une calembourde, on a beau forcer, c’est un symptomme qui ridiculise la peur bleu du remords biaisé de ne plus paraître crédible ; et réciproquefort. Le calembour flotte dans l'atmosphère, il fermente en silence, on le sent parfois plus ou moins fort et le calemboureur, qu’habite le culot de la fouille, ne fait que le révéler, ou se débrouille d’en susciter la subite émergence. Il est présent et attend simplement d’être surpris, de s’immiscer dans le contexte et d’éclater de toute sa splendeur dans la fugacité de l’instant. Il peut briller par sa subtilité, son absurdité, sa profondeur, sa pertinence, ou par tout cela à la fois, mais son véritable éclat est celui de la modestie, de l’autodérision et de la pureté du jeu. Il perd ainsi toute sa saveur dès lors qu’il est utilisé systématiquement, qu’il est instrumentalisé dans le but de promouvoir et d’attirer l’attention ou qu’il chargé de toute autre intention impure, enfonçant inévitablement son misérable auteur dans les méandres du calembourbier.
Le calembour est plus qu’une simple farce sémantique, plus qu’une amusante curiosité étymologique, plus qu’une habile facétie homophonique. Il rappelle la multiplicité des degrés et par le second renvoie à l’existence du zéroième, souvent négligé comme peut l’être le meilleur moyen de faire tourner la tête à une femme, de lui dire qu’elle a un joli profil. Il dévoile ainsi l’ambiguïté du monde, témoigne de sa dualité fondamentale, de ses multiples facettes qui coexistent tout en semblant paradoxales. Mais c’est avant tout un symbole de liberté, représentant l’émancipation de l’expression, qui a tendance à s’enliser dans la lourdeur de ses propres règles, sans pour autant en être salies. Grâce à lui, le langage n’est plus une prison mais un terrain de jeu dont la grammaire n’est plus le gardien mais le pâturage, arbitrant avec indulgence l’activité du calembouron dont les efforts permanents en maintiennent la vitalité et la souplesse, tel un yoga verbal apportant santé ni café l’expérience transcendantale de l’union de lettres. Cette pratique est comme un jouet, accessible en permanence à ses adeptes, mais dont l’usage ne s’obtient que par une observation de l’expression minutieuse et insatiable, qui évolue petit à petit en une contemplation libre et béate pour finalement devenir une véritable extase mystique : le calembourvana, aboutissement spirituel du calembouddhiste.
Mais sans aller si loin, la pratique du calembour a des répercussions immédiates et concrètes, même pour les dévots des croyances les plus sceptiques. Il a seulement plus de portée qu’il n’y paraît : il est indissociable du contexte duquel il émerge et des réactions qu’il suscite. Comme un accord dans une partition dont la dissonance ou la consonance importe bien moins que l’harmonie avec laquelle il s’inscrit dans la mélodie, il s'appuie sur les notes précédentes qu’il colore de sa sonorité particulière, moins imposant mais plus subtil et raffiné qu’une septième de dominante, offrant ainsi une structure sur laquelle l’humour peut se reposer, une mise en abyme subite et inattendue sur laquelle la joie peut rebondir. Quand il provoque le rire, c’est en général plus par le décalage qu’il dévoile et l’espace qu’il libère que par son potentiel humoristique intrinsèque pourtant loin d’être négligeable. Il est bien souvent suivi d’une auto-dérision comique de son auteur, qui tire ainsi parti de l’amorce burlesque propre (sans pour autant en être salie) au calembour - parfois certes un peu répétitive, mais qui est aussi tristement le terreau de l’antisémantisme, qui interprète cette simagrée comme un aveu de déshonneur. Et même si le calembourgeon, hunble deux trop hâter le rire - cas très heureux du dessein qu’il assixste - et cette suite, ne fait disgrâce des airs hautains qu’il dénombre, il souffre des dénigrements qu’il subit et qui, à force, finissent par chiffrer - comme l’est d’ailleurs subtilement la phrase précédente. Et il n’ose s’interposer pour ne pas ruiner la gaieté qu’il a mis tant d’effort à enrichir, il encaisse sans bronchite la nullité dont on l’accable, n’ayant d’autre issue qu’un humble renoncement comme un chien à qui on ne laisserait que le choix dans la chatte. Il est vrai que son énorme entrain peut parfois gêner et que ses plaisanteries paraissent taquines aux yeux de ses détracteurs, mais il semble ne pas aimer assumer sa vanne qu’il a pile eu uniquement pour éviter de noter leur abus et de tester leur ridicule. Car s’il n’est séryeux, le calembourant est entêté et ne cessera de jouer dent sa langue. C’est pour lui comme un devoir moral, un acte de fun, qu’il accomplit en martyr par humour du prochain, pour le salut de l’hilarité, pour la liberté de distraction, pour la patrire, les réjouissances et la joie. C’est pour lui, à l’instar de la vie, un don sacré hérité du hasard ou de nos ancêtres - sûrement d’un peu des dieux - mais qui dans tous les cas se doit d’être transmis aux générations futures, en attendant le jour où l’humanité sera capable d’accueillir avec plus de sagesse l’insoutenable légèreté du calembour.